750 grammes
Tous nos blogs cuisine Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
DIRE LE VIN
26 mars 2013

Mise en scène du terroir: Episode1, France, Côte de Beaune.

MISE EN SCENE DU TERROIR

Episode 1, la Côte de Beaune. Jean-Marc Roulot.

 

Terroir, dis-moi qui tu es et comment t’approcher et dire quelque chose de toi-même.

Dès que nous voulons le définir, l’objectiver, en faire un objet de connaissance, le terroir nous échappe.

Dès que nous voulons le nier, il se revendique comme étant nécessaire.

       Cicéron soulignait déjà cette exigence en imaginant une vigne qui évoluerait par accumulation, de sorte qu’elle serait douée de sens, puis de raison, et finirait par devenir son propre viticulteur (1).Fantasme ou exigence du vigneron qui veut que la nature s’exprime en lui comme le pensait déjà Kandisky dans l’œuvre d’art abstraite ?

       Les penseurs classiques revendiquaient une continuité de la nature dans le monde humain qui facilitait l’appréhension de l’idée de terroir, alors que le monde moderne, depuis le XVIIIème siècle,« force la nature à répondre aux questions qu’on lui pose » selon la formule de Kant. Discontinuité entre la nature et l’homme désignée par la métaphore du mécanisme de la montre fermé sur laquelle il faudrait conjecturer pour faire voir quelque chose d’elle-même.

       J’ai toujours pensé les vins de Jean-Marc Roulot comme philosophiques. Etonnamment, la première fois que j’ai goûté les vins de Jean-Marc Roulot, l’idée d’essence chez Platon m’a paru plus claire. J’avais l’impression d’un dessin parfaitement net qui relevait d’un fond, d’une nature, d’une essence, d’une forme.

       Y-a-t-il quelque chose de commun entre un Meursault Tessons de Jean-Marc Roulot et de Jean-Baptiste Bouzereau ? Entre un Meursault Narvaux du domaine d’Auvenay et celui de Jean-Marc Roulot ? Car plus qu’une appellation, les bourguignons ont ajouté l’idée de climat au terroir et par là même, ils ont confirmé l’idée selon laquelle le terroir ne se définit pas tant par la terre que par la désignation d’un territoire.

Mise en scène du terroir par Jean-Marc Roulot.

       

DSCF0193

               

 

- Dans Le goût et le pouvoir de Jonathan Nossiter, j’avais repéré l’idée que tu évoquais, selon laquelle le terroir n’existait pas, qu’on ne pouvait rien penser sans le vigneron

- Je n’ai pas évoqué cette idée aussi brutalement. Ce que je voulais dire, c’est que l’un ne peut exister sans l’autre. Un bon vinificateur sans un grand terroir ne fera jamais que des vins honnêtes. Un grand terroir sans tout le soin apporté par le vigneron et le vinificateur ne donnera pas forcement un vin d’exception.

- J’avais évoqué dans le précédent article du magazine la métaphore artistique pour penser quelque chose du terroir, par exemple la matière première d’une sculpture. Est-ce que cette idée fait écho avec ton travail ?

- Je n’ai pas le réflexe de faire de telle comparaison.

- Je vais être plus concret, alors. Ne penses-tu pas que le terroir se désigne davantage dans le travail de l’homme que dans la qualité géologique de la parcelle ?

- Non. Le travail de l’homme, s’il est considéré dans son ensemble, en intégrant l’histoire, a pu, avec le temps, magnifier et façonner cette notion de terroirs. Mais, même si cette contribution humaine est essentielle, elle n’a fait que valoriser des données géographiques, climatiques et géologiques exceptionnelles qui sont l’essence même du terroir.

- Y-a-t-il quelque chose qui relève d’un donné ?

- Absolument ! C’est ce donné qui a été développé depuis des siècles…

- Je pensais que les terroirs bourguignons s’étaient aussi déployés à partir de facteurs politiques et de communication.

- Mais, à mon sens, ces facteurs n’ont pas constitué une condition suffisante.

- Que penses-tu de la mode des vins sans sulfite qui relèvent de l’idée que la révélation d’un fond, d’un terroir dans le vin repose sur la suppression de certains procédés techniques comme le sulfitage à la vendange et à la mise en bouteilles ?

- J’ai un compte sur twitter avec une image où il y un tee-shirt «contient des sulfites ». Je comprends la démarche des vins sans soufre. Mais moi, producteur de blancs, je n’ai pas la recette pour faire un vin blanc sans soufre qui soit honorable pour la dégustation. On doit s’attacher à réduire les doses en soufre, mais travailler SANS soufre, je ne sais pas faire.

 

- Sur les vins rouges, et les propriétés anti-oxydantes du pinot noir, si je reste dans la Bourgogne, ça te paraît possible ?

- Oui. J’ai goûté des pinots noir sans soufre intéressants, mais je n’ai jamais goûté des blancs sans soufre qui m’ont plus. Je suis halluciné par la mode autour de ça, y compris de la part de vrais connaisseurs. Je rencontre des dégustateurs de confiance, dont je connais le palais, les goûts et qui me disent depuis peu aimer des vins qui sont tout ce que je n’aime pas dans le vin blanc. C’est très déroutant, peut-être que je passe à côté de quelque chose, mais les arômes de pomme, de bière, les arômes fermentaires sont loin de l’idée que je me fais des vins blancs.

- Quand je vais voir des vignerons bourguignons, je suis surpris par le fait qu’ils soulignent systématiquement l’importance du travail des vendangeurs.

- Un de mes meilleurs souvenirs au domaine a été la vendange 2004, millésime où la nature n’a pas été aidante, où il y avait du tri. Nous avions une vraie énergie humaine au domaine, énergie qui concluait une année de travail qui aurait été gâchée sans ce facteur humain. Tu dois responsabiliser les vendangeurs, et s’il n’y a pas d’amour dans ce travail de vendange, tu ne fais pas un grand vin. Tu communiques cet amour par le sens de l’accueil, les repas, l’ambiance. C’est un peu l’attention et l’amour que tu portes à la vigne qui se perpétuent dans l’équipe de vendangeurs.

- Tu as repris le domaine en 1989. On parle d’explosion de la demande depuis une dizaine d’années. L’observes-tu ?

On vend plus facilement les petits vins. Notre chance, c’est la rareté. Moi, je trouve que le vrai basculement, ce sont les années 90 avec un recentrage sur le sol, alors qu’avant, on se concentrait plus sur le travail à partir de l’arrivée des raisins la cuverie. Il y a eu une vraie prise de conscience de la spécificité des sols, de la connaissance des terroirs, en autres avec la création du G.E.S.T. groupement d’étude et de suivi des terroirs. Le travail d’étude et d’authenticité parle d’autant plus que les gens sont habitués à être fondus dans l’uniforme. L’unicité et la particularité sont ce que les passionnés viennent chercher en bourgogne. Deux parcelles séparées de quelques dizaines de mètres produisent deux vins différents. Les climats meurisaltiens sont à cet égard exemplaires.

- Tu es aussi comédien, est-ce que ta passion pour le théâtre et le cinéma a une influence dans ton travail de vigneron et de viticulteur ? J’aime rapprocher le terroir d’un texte au théâtre. Dans la pièce Meursault Luchets(2) où tu jouais, tu disais que tu aimais les vins tendus, non sur-joués, contrairement aux vins que tu nommais « pâtissiers ». Tu avais fait un pont avec le théâtre dans une manière d’interpréter le vin.

- Quand je suis au domaine, je ne pense pas à mon travail de comédien. Mais je me risquerai à comparer le terroir à un grand texte et le vigneron à son metteur en scène.

- Meursault Perrières de Jean-Marc Roulot, c’est un peu Michel Bouquet qui joue « En attendant Godot » de Beckett ?

- Je te laisse libre choix de tes comparaisons. Dans l’art comme dans le vin, les relectures, les différentes mises en scène, la diversité de style sont porteuses de sens.

 

 

(1)   De Finibus(IV, 14 38-39, V 39-40)

(2)   Meursault Luchets 99, Editions Terre en vues.

Publicité
Publicité
Commentaires
DIRE LE VIN
  • Nous cherchons à parler du vin AUTREMENT, à être au service du travail des vignerons, à en rendre compte, à voir la manière dont ils pensent les problèmes pratiques ou théoriques relatifs à leur passion.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité